Xavier Neil a donc présenté sa nouvelle Freebox, attendue comme « révolutionnaire » selon ses propos. La bien nommée Delta pour la forme, dessinée par le designer anglais Jasper Morisson, est pour le moins disruptive sur le plan stylistique, quoique dans l’esthétique de l’époque : minimale, lisse, caressante, empathique, une qualité qui prétend à faire beau tout en se mettant dans la peau de l’utilisateur, donc en humanisant la technologie pour la rendre accessible et agréable. Ce que fait et réussit Apple depuis très longtemps. Cette nouvelle Freebox Delta est foisonnante de fonctionnalités sur lesquelles je ne m’étends pas, je ne retiendrais que l’intégration de Devialet pour le son, une marque start-up de luxe, spécialisée dans l’ingénierie acoustique et qui produit des amplificateurs audio et des enceintes hors normes et hors de prix.
Après avoir été le mercenaire des télécoms avec une stratégie low cost très offensive, obligeant tous ces compétiteurs à batailler à coups de promotions pour garder leur part de marché et tenter d’en gagner, Xavier Niel fait donc le pari de la premiumisation. Un vrai pari en effet. A-t-il le choix dans un marché des télécoms destructeur de valeur où les opérateurs sont interchangeables (le churn, ou attrition en français, fonctionne à plein dans ce secteur) et où la différenciation se joue uniquement sur les prix, toujours plus bas et souvent illisibles, avec une surenchère technologique exténuante ?
Free change de braquet avec un produit haut de gamme et un prix élevé : l’abonnement mensuel à sa Freebox Delta se monte 59,99 €. Mais ce positionnement premium va cohabiter avec son ADN low cost, la marque n’ayant pas l’intention de cesser la course aux promotions racoleuses pour alpaguer des nouveaux clients. D’ailleurs face à la Delta, Free a présenté sa box One, beaucoup moins bien en terme de design et de technologie (elle n’a pas le son Devialet) et proposé à 29,99 € par moi. La One est-elle la box du pauvre ?
Certes, difficile de se couper de la réalité d’un marché hystérisé par les prix cassés à longueur d’années. Mais pour Free, ce grand écart va être complexe à gérer en terme de communication et risque de déstabiliser des clients obsédés par leur pouvoir d’achat qui n’aiment rien de moins que le flou marketing.
Et pour sympathique que soit la marque qui se présentait comme le « Robin des bois des Telecoms » et paraît celle qui est la « plus honnête » dans ce maelstrom de prix « sans valeur », elle risque d’apparaître maintenant comme le Shérif de Nottingham qui complote pour s’enrichir.
Le pari de Xavier Niel est risqué — bien qu’il mérite d’être tenté —, car une marque low cost peut difficilement segmenter son offre entre discount et haut de gamme, un positionnement qui déstabilise les clients, faisant fuir les acquis sans forcément attirer des nouveaux. Xavier Niel aurait pu suivre l’évolution de Dacia dans l’automobile. La marque low cost de Renault a amélioré le design et la technologie de ces véhicules pour les adapter à une clientèle plus exigeante, mais sans créer de rupture stylistique ni d’escalade des prix. Nous verrons si sous le sapin, la Freebox Delta sera choisie par le Père Noël...
Début 2019, je publie un livre sur les nouveaux enjeux du luxe où la notion de « premium » est évidemment abordée…
Photos : La Delta et la One © Free