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Eléphants blancs

Après des années de tergiversations politiques, de modifications abracadabrantes, de crises d’égos et de centaines de millions d’euros de débords budgétaires évidemment non financés (pas de problème, le contribuable vache à lait paiera avec de nouveaux impôts ou taxes), deux mastodontes culturels ont ouverts leurs portes : la Philharmonie de Paris signée par l’omnipotent Jean Nouvel et le musée des Confluences à Lyon signé par la coopérative allemande Himmelb(l)au et Wolf D. Prix, familiers des bâtiments torturés.

Plusieurs points communs relient ces deux architectures. A commencer par leur esthétique monstrueuse, au sens étymologique, « qui est d’un intensité extraordinaire, excessive, gigantesque », en effet, ces deux constructions, l’une posée au bord du périphérique et l’autre entre Saône et Rhône, obstruent l’horizon, rapetissent l’individu, elles cherchent à se faire voir indépendamment de l’urbanisme qui les entoure, comme c’est souvent le cas aujourd’hui, où les édiles et les politicrates cherchent à marquer leur présence historique par des objets architecturaux envahissants et calibrés pour leur nombril de potentats locaux.

Autre point commun entre ces deux constructions : leurs lignes agressives et acérées, leur architecture peu gracieuse alambiquée par des ordinateurs 3D qui n’apportent aucune fluidité, aucune élégance, aucune grandeur majestueuse ; sans parler de leur gueule béante ouverte sur des esplanades froides qui entendent avaler, dévorer des publics esbaudis et téléguidés par le contentement convenu des médias.

Dernier point commun, leur positionnement fourre-tout. Le tourisme de masse implique d’attirer en plan large, il s’agit de justifier le coût monstrueux (au sens étymologique…) d’entretien et de gestion courante de tels bâtiments par une programmation des plus élastiques. Avec sa jauge de plus de 2.000 places impossible à remplir avec Brahms, la Philharmonie va donc faire résonner du pop, du rock, du jazz, de l’accordéon, de la variétoche… Quant au musée des Confluences, « musée des sciences et des sociétés », il entend démontrer que la culture est un maelström (dans le jargon politiquement correct, on dirait « espace pluridisciplinaire pour un public curieux »), qui réunit des animaux empaillés, des momies, des objets décoratifs, des curiosités très étranges, des reliques, des antiquités, etc. bref, une cohabitation foutraque de 2 millions de pièces, nous dit-on !

Le mélange des genres et le flou artistique sont la particularité de notre époque déboussolée, ils ouvrent les esprits (du moins sont-ils censée le faire) et donnent l’illusion à chacun qu’il est un apprenant qui devient un sachant par un saupoudrage culturel flatteur. Après tout c’est mieux que rien, mieux que le financement de lignes ferroviaires à grande vitesse inutiles…

Néanmoins, espérons que ces deux lieux « culturels » deviennent vraiment des aspirateurs à publics, et non des éléphants blancs ; dans un pays qui ne produit que de la morosité et de l’enfermement, espérons qu’ils soient des espaces salutaires d’aération mentale, même si leur souffle semble un peu court.

Images : © Jean Nouvel et Himmelb(l)au

Tag(s) : #Idées
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