Les eurodéputés ont voté la semaine dernière un texte pour interdire la destruction de vêtements neufs invendus. Une contrainte à visé écologique pour les industriels de ce secteur, mais au-delà de la pensée monolithique de notre société à vouloir tout écologiser, il s’agit de redéfinir le processus de production qui s’est emballé ces dernières décennies jusqu’à une surproduction de produits à la durée de vie de plus en plus courte. Une surproduction trop visible, trop lourde, trop destructrice, trop inutile. Les professionnels de la mode savent qu’ils n’ont pas d’autres choix que de se sevrer à cette dépendance aux fausses innovations et aux renouvellements artificiels pour mettre la mode dans l’orbite d’une fantaisie plus abstinente. Il est temps. Dans la préface pour un traité du vide, Pascal écrivait en 1651 : « On ne peut plus avancer de nouveautés sans péril ». Divinatoire…
Depuis l’ouverture des premiers grands magasins et le développement de la confection, la mode n’a eu de cesse de présenter des « nouveautés » pour stimuler l’appétit conditionné de leurs clientes et clients. Et les bien nommés « magasins de nouveautés » proposaient le tout-venant de la saison et des articles de « haute nouveauté », des articles de « la dernière mode ». Être à la mode n’est pas une tare, mais une façon de se réaliser contre l’adversité dans une société de séduction où chacun observe tout le monde et vice-versa. À partir des années 50, la société de consommation impatiente et le système des tendances organisateur de l’obsolescence programmée déploient leur énergie créative pour vendre tant et plus, dans des points de vente de plus en plus nombreux et de plus en plus grands qui ne doivent pas rester vides. Alors, il faut produire encore et encore pour remplir les linéaires et occuper « la part de cerveau disponible » des consommateurs et des consommatrices. Cette ère glorieuse n’est plus, nous entrons dans l’ère frugale du faire mieux avec moins. Car notre humanité doit faire une pause pour se régénérer. Pour autant, le stimulus pavlovien de l’envie, le goût du shopping, le conditionnement par le désir, l’impulsion bienfaisante qui pousse à acheter des produits inutiles n’ont pas disparu. Heureusement. Les clients et les clients ne sont pas dupes, ils subissent en silence et hiérarchisent leurs priorités d’achats en réorganisant les circuits.
Contre toute attente, la seconde main a envahi la sphère vestimentaire à la vitesse de l’éclair, elle est passée de la fripe de seconde ligne à la valorisation en tête de gondole. Par opportunisme et/ou cupidité, et/ou écolo conscience, nous devenons un maillon de Vinted ou du Bon Coin, acheteurs un jour, vendeurs le jour d’après. Nous sommes devenus des acteurs indépendants du marché de l’offre et de la demande, nous sommes les lanceurs de l’avant-dernière mode. Car la seconde main est pudique, elle reclasse des objets déclassés, elle réhabilite un potentiel déchet, elle remet au goût du jour des articles démodés. La seconde main est vertueuse, elle oblige les industriels de la première main à réorienter leur stratégie vers un jeûne productif et une décence à ne plus en faire trop. Un succès qui doit accélérer la remise à niveau de l’industrie de la mode. Une démonstration que l’écologie est l’affaire de tous et pas que des écologistes patentés. François Gemenne, professeur à HEC et spécialiste des causes climatiques, remarque que ce sont les Verts qui font régresser la cause écologique ; « IIs souffrent d’un grand manque d’empathie et d’une incapacité à se mettre à la place des gens »…
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Photo : DC/AI