De retour de la 26ème édition du SIHH, le Salon international de la Haute Horlogerie à Genève, un salon d’exception à la fois hors du temps et dans la réalité du marché du luxe, je m’interroge sur les enjeux futurs de l’horlogerie haut de gamme mondiale, un micro marché dominé par les Suisses qui représente 2,5% en part de nombre de montres vendues mais… 54% en valeur ! La Suisse a en effet exporté près de 30 millions de montres en 2014 sur 1,2 milliard de montres produites dans le monde, selon la Fédération de l’industrie horlogère suisse (FH). Numéro 1 mondial en valeur, la Suisse est installée sur le segment haut de gamme, elle exporte 95% des montres vendues à plus de 1.000 CHF ($984). Il faut préciser qu’une montre Swiss Made coûte en moyenne $722 (734 CHF) à produire, contre à peine 3 dollars en moyenne pour une montre en provenance de Chine. Numéro 1 mondial en volume, l’Empire du Milieu a en effet exporté 663 millions de pièces, auxquelles il faut ajouter 354 millions d’unités produites par Hong Kong.
Au SIHH qui réunit 15 Maisons horlogères de renom, on découvre les tendances du marché de la haute horlogerie d’autant que pour la première fois, le salon a ouvert un nouvel espace, le Carré des Horlogers, réunissant 9 artisans-créateurs et ateliers indépendants qui n’ont pas la puissance médiatique et financière de leurs devancières, mais inspirent la « nouvelle » horlogerie avec des artisans qui cherchent à sortir des sentiers battus pour (ré)inventer l’esthétique et la mécanique des montres.
Malgré le sentiment d’euphorie de ces dernières années, il se dégage un trouble lié à la fois à un marché au ralenti et à une surenchère d’exercices de styles mécaniques. Les marques ont investi fortement dans des ateliers, des manufactures et des usines Swiss Made pour garantir leurs productions, et dans une profusion de mouvements mécaniques à complications où les prouesses d’ingénieur épatent la galerie, mais s’affaiblissent à trop se concurrencer dans le « toujours plus complexe », au risque de s'égarer dans une distinction de moins en moins singulière.
A y regarder de plus près, une montre de haute horlogerie n’est pas prioritairement un objet fonctionnel pour lire l’heure, mais un objet émotionnel qui séduit les amateurs et les passionnés, les fortunés blasés et les argentés en mal de surface sociale. Comment peut-il en être autrement avec des montres dont le prix atteint des sommets stratosphériques ? Comment peut-il en être autrement avec des montres dont le nombre est souvent limitées, voire très limitées pour des modèles fabriqués à un unique exemplaire ? Une démarche de niche dont s’entichent les « nouveaux horlogers » (Christophe Claret, Hautlence, Kari Voutilainen, Laurent Ferrier, Urwerk, HYT, MB&F…) qui manufacturent des garde-temps où la lecture de l’heure est secondaire ou pour le moins différente puisque rarement frontale avec un cadran et deux aiguilles. Nous sommes ici dans la poésie pure de la mécanique époustouflante. C’est sans doute la meilleure façon de continuer à créer des objets rares pour le haut du marché et de ne pas craindre la concurrence des futurs fétiches du XXIème siècle : les montres connectées.
L’arrivée du digital et de nouveaux entrants très puissants comme Apple chatouillent et interpellent le microcosme suisse de la haute horlogerie. Existe-t-il un danger face à cette concurrence de marques geeks attractives ? La particularité d’une montre connectée n’est pas tant de donner l’heure que de proposer une foultitude de fonctions annexes, commodes, vitales, indispensables. Une montre connectée n’est pas un joyau d’artisan, mais un bijou d’ingénierie, une montre connectée n’est pas une montre, elle est un objet « homotique » qui nous aide au quotidien à devenir des individus amplifiés.
Tant qu’il y aura des artisans d’exception pour manufacturer des montres à des milliers de francs suisses et des clients riches pour les acheter, la haute horlogerie demeurera connectée au monde de la passion et de luxe. Les montres connectées ne sont pas des concurrentes, ce sont des outils qui, au-delà de fonction universelle de l’heure, développent de nouveaux usages, de nouvelles commodités, d’autres façons de gérer le temps. L’une et l’autre peuvent partager un même poignet, s'adapter à des moments de vie différents…
Images (dans le sens des aiguilles d’une montre) : Les quatre temps de l’horlogerie : montre joaillière « Heures créatives heure discrète » de Vacheron Constantin ; montre à complications à mouvement hybride mécanique et à quartz « Emperator Coussin XL 700P » de Piaget ; montre mécanique à complications à intelligence augmentée contrôlée électroniquement « EMC Pistol » de Urwerk horloger nouvelle génération ; montre connectée Watch d’Apple avec bracelet en cuir Hermès.