L’économie n’aime pas le désordre. Quoi de plus normal, pour investir et se développer sur le long terme, il faut une stabilité politique et sociale, et un ordre économique global basé sur des productions formatées, rationalisées pour plaire au plus grand nombre. A cela s’ajoute une « esthétisation du monde » pour reprendre le titre de l’ouvrage de Gilles Lipovetsky où la généralisation du design, de la beauté, du look impose une signature stylistique pour tous les produits, une garantie esthétique qui flatte l’œil et l’égo de la ménagère et du ménager.
Il en est de même dans les rayons des fruits et légumes formatés par des règles strictes édictées par des fonctionnaires qui obligent à mettre en vente des productions homogènes et calibrées, excluant les moches, les tordus, les non conformes, les affreux… qui pèseraient 500.000 tonnes chaque année en France ! Des laidrons légumineux et des disgracieux végétaux qui finissent au rebut ou en compote pour les moins repoussants.
Pour lutter contre cette discrimination, une campagne de publicité valorise ces exclus invités à parader dans les rayons de quelques enseignes (Monoprix, Auchan, etc.) aux côtés des productions étalonnées « taille mannequin ». Les clients semblent adhérer pour des raisons de coûts (les moches sont moins chers que les beaux) et parce que certains se laissent abuser en croyant acheter des fruits et légumes bio : en effet, pour faire vrai, authentique, le bio est souvent inesthétique… : gloire du marketing ! Ne sommes-nous pas souvent convaincus qu’une tomate boursoufflée, une carotte cagneuse ou une pomme vérolée ont plus de goût qu’un primeur étalonné ? Contradictoire nature humaine qui cherche la perfection et s’entiche de la défectuosité...
La société de consommation de masse, stimulée par une communication de l’ordre absolu et des tendances stéréotypées, a uniformisé le goût, privilégié des images toilettées, lissées, codifiées selon un nombre d’or planétaire qui laisse peu de visibilité à l’humanité hideuse et aux saveurs allogènes. Ce culte de la beauté que nous vouons à cette société de consommation (pour notre plaisir tout de même) nous interroge parce qu’elle n’est forcément « à la hauteur de l’idéal que nous pouvons concevoir d’une ‘vie belle’ », pour citer Lipovetsky. Alors, allons-nous assister à la revanche des moches, à l’apogée d’une nouvelle idéologie de l’anti standard ? Peu de chance, la promotion des difformes est une posture contemporaine qui s’éprend de kitsch et de bizarre pour mieux se draper dans le consumériste de la beauté totalitaire. Qui peu croire qu’il vaut mieux être moche, pauvre et anonyme que beau et riche et célèbre ?