Le paquebot Wonder of The Seas devrait lever l’ancre début 2022, un monstre de 362 mètres de la compagnie Royal Caribbean Cruise Line en construction aux chantiers de l’Atlantique depuis octobre 2019, juste avant le début de la pandémie. Avec 8.000 passagers à son bord, ce « plus grand paquebot du monde » est-il calibré à la réalité touristique du XXIe siècle ? Certes, les croisières ont (avaient !) le vent en poupe, or le confinement planétaire a laissé tous les bateaux à quais et avec eux un tourisme de masse en déshérence. Un tourisme souvent dévastateur dont l’effet boumerang l’est encore plus... Venise perd des habitants année après année (ils ne sont plus que 51.700 aujourd’hui) et gagne toujours plus de touristes : 30 millions par an avant le Covid-19. La Sérénissime, violée par des paquebots la déchirant sur le Grand Canal, s’est littéralement vendue au tourisme à hautes doses addictives qui a balayé tout autre activité, lui-même essoré par la pandémie mondiale. Conséquence, la ville en déclin et en souffrance doit rebâtir les fondations de son économie au risque de devenir une cité à la dérive habitée par des fantômes.
Une situation peu ou prou similaire dans toute l’Europe qui fascine par son histoire et ses richesses culturelles : Italie, Espagne, Grèce, Portugal, Balkans, France... sont pris d’assauts. Enfin, ça c’était avant... En 2014, Laurent Fabius, alors ministre socialiste des Affaires étrangères et du Développement international ambitionnait de faire de l’Hexagone le premier pays touristique du monde avec 100 millions de touristes étrangers. Depuis cette tonitruante déclaration, l’hystérie permanente des Gilets jaunes, les grèves à répétition, et maintenant le coronavirus, ont plombé cette très lointaine ambition française. La Capitale est particulièrement meurtrie avec des magasins, des palaces et des restaurants vidés des riches émiraties, des hordes de chinois, des amis américains... qui ne sont pas prêts de revenir avant plusieurs mois, voire plus... ou jamais !
Selon l’OMT (Organisation Mondiale du Tourisme), Il faudra attendre entre 5 à 7 ans pour que le tourisme, première industrie au monde représentant 12% du PIB mondial ($1.500 Mds) et plus de 200 millions d'emplois, retrouve des couleurs. Entre temps, la saignée va être terrible : des CA divisés d’un tiers, 80 millions d’emplois perdus au bas mot. Et il n’est pas certain que le tourisme du monde d’après aura autant d’attrait, d’autant qu’on ne sait pas quand la crise va être endiguée. C’est le moment de repenser un tourisme qui ne soit pas une course au nombre, avec une majorité d’excursionnistes fugitifs qui sont d’insupportables indélicats se croyant en pays conquis là où atterrissent leurs avions. Il est temps de préserver deux éléments liés à notre humanité voyageuse au loin et curieuse de l’autre : l’authenticité de la rencontre qui suggère une proximité plus émotionnelle qu’industrielle et par ricochet « la mise en œuvre d’un tourisme solidaire et responsable », exige l’OMT qui a publié un document plein de bonnes intentions supposant que les touristes de demain soient plus discrets qu’importuns, rien n’est moins sûr.
« Le tourisme facilite les échanges culturels, la compréhension mutuelle et la paix. Il combat la discrimination et les préjugés dans les rapports entre les personnes et les sociétés », se console l’OMT. Des écologistes décroissants veulent croire à un tourisme lent, modeste, proche de chez soi, dispersé sur les territoires, sans kérosène... pour juguler un tourisme de masse jugé « obscène ». Les collapsologues qui prônent l’apocalypse, espèrent que la montée des eaux va noyer les côtes maritimes bétonnées, engloutir les îles paradisiaques et que la canicule perpétuelle empêchera les transhumances des populations hagardes et par ricochet anéantir le tourisme. Entre ces deux extrémismes, les professionnels du tourisme devront réduire les effets de masse en imaginant un avenir qui reste à inventer pour une humanité qui a et aura toujours la bougeotte, mais pas forcément entassée sur des paquebots géants pensés comme des parcs d’attraction...
Le XXIe siècle, enfin ! Le monde de maintenant (et d'après...), Trendmark Publishing, 2020
Photo : D.R.