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Défiance tenace

Il y a comme ça des mots fétiches qui font les titres des journaux pour exprimer un ressenti qui semble généralisé sous toutes les latitudes : la défiance est un de ces mots. Des milliers d’articles passent au tamis cette crainte méfiante envers des personnalités, des institutions, des marques, des entreprises, des systèmes... Relayée par des études, la suspicion ne semble épargner rien ni personne. Un mouvement mondial qui circule dans les têtes : selon le 20èmeBaromètre de Confiance Edelman 2020 *, aucune des quatre institutions sociétales que l'étude mesure chaque année — gouvernement, entreprises, ONG et médias —, n'est digne de confiance ! 

 

Ce dernier baromètre, dont les interviews ont été conduits dans 28 pays entre le 19 octobre et le 20 novembre 2019, donc avant la pandémie du Covid-19 et le grand confinement, dévoile déjà une défiance partagée, une crainte pour le futur, une réticence à voir le réel sans risque. Autant dire que dans la période actuelle, la confiance devra pédaler dure et raide pour grimper sur le podium de l’avenir. Si les politiques en prennent largement pour leur grade, le système économique est entré dans une phase alarmante de méfiance : « Plus de la moitié des personnes interrogées [56%] dans le monde entier pensent que le capitalisme, sous sa forme actuelle, fait aujourd'hui plus de mal que de bien dans le monde. » Sans forcément bien cerner les enjeux des phantasmatiques « décroissance » et « démondialisation » qui seraient la réponse pour plus de protection, plus d’égalité, moins de surproductions, moins de pression sur l’environnement, les gens attendent une autre société sans en dessiner des contours réalistes. Et sans forcément participer à sa construction : le cynisme et la passivité marchent de concert dans l’attente de solutions miraculeuses purgées de tous périls.  

 

A ce stade, la France est en tête des pays en révoltes du système et attentistes d’un l’autre. « Le Français a gardé l’habitude et les traditions de la Révolution. Il ne lui manque que l’estomac : il est devenu fonctionnaire, petit-bourgeois et midinette. Le coup de génie est d’en avoir fait un révolutionnaire légal. Il conspire avec l’autorisation officielle. Il refait un monde sans lever le cul de sa chaise ». C’est dans ces Carnets(Gallimard, 1962) qu’Albert Camus épingle ce trait constant d’une France qui n’aime rien de moins que descendre dans la rue pour brailler (une façon de lever son cul de la chaise diront certains). En vérité, cette passivité est toute relative, les révoltes sociales qui se profilent en France et ailleurs mobilisent des énergies enfouies qui explosent à la surface. Anticapitalistes par réflexe conditionné, les Français sont loin d’être les seuls. D’après Edelman et son baromètre 2020 : 71% des personnes interrogées dans le monde estiment que si une entreprise fait passer son profit avant les gens, elle sera bannie pour toujours. La défiance est rancunière, la confiance est un combat. 

 

Pour recouvrer cette confiance évanouie, qui n’est plus perçue comme une espérance, mais comme une sorte de morale à rendre le monde plus juste, il faut « professionnaliser » la croyance dans l’autre. C’est à dire, ne pas mettre en scène des bons sentiments (ce qu’on n’a pas manqué de voir avec des entreprises qui, ces dernières semaines, ont communiqué sur le thème du « tous ensemble dans l’adversité » non sans arrières pensées), mais démontrer point par point qu’on agit pour le bien-être de tous. Les analystes d’Edelman ont placé leur étude sous le signe de la compétence et de l’éthique, constatant qu’aujourd'hui, les gens accordent leur confiance sur la base de deux attributs distincts : savoir tenir ses promesses et faire ce qui est juste en s’engageant à l'amélioration de la société. Et aucune des quatre des institutions dans le viseur — gouvernement, entreprises, ONG et médias —, n'est considérée comme étant à la fois compétente et éthique... Les gouvernements et les médias étant carrément jugés incompétents et non éthiques ! La politologue américaine Margaret Levi a raison quand elle dit que « l’opposé de la confiance n’est pas la défiance, c’est le manque de confiance ». Pour la recouvrer, la route est longue et les embûches nombreuses.  

 

 

*https://www.edelman.com/sites/g/files/aatuss191/files/2020-01/2020 Edelman Trust Barometer Global Report.pdf

 

 

Photo : © Bernard Hermant

 

Tag(s) : #Etudes
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