Communiquer en période de crise et/ou d’abattement collectif est des plus délicats. Ne rien dire risque de signaler une indifférence ou une manque d’empathie, trop en faire, risque d’être taxé d’opportunisme ou de récupération du drame dans lequel chacun se sent piégé. La vraie difficulté tient à la gestion des différents présents qui interfèrent et tuent l’avenir : le présent des médias avec la pression délétère des chaînes d’infos en continu et des réseaux sociaux pour qui l’avenir ne compte pas ; le présent de l’opinion publique infantilisée et manipulée (pléonasme !) qui perd son désir d’avenir ; le présent de l’économie qui exige des fondations solides dans le réel pour investir dans l’avenir ; le présent de la science à qui on demande d’apporter des réponses à des questions sans avenir tant que traitements et vaccins n’auront pas été trouvés ; et le temps du politique à qui nous exigeons de bâtir un avenir qu’il est bien incapable de projeter, condamné à l’immédiateté, obligé à gérer le quotidien de l’Etat, des gens et du monde via Tweeter.
Nous pouvons nous réjouir que l’espace public démocratique soit ouvert, libre et riches d’informations, de points de vue, d’échanges — auxquels s’ajoutent les complots et les fake news —, mais cette « infobésité » nous rend amorphes et patauds, nous sommes transformés en « couch potatoes », fascinés et effrayés par un conte de fée devenu un film d’horreur. Alors pour calmer notre peur, nous recherchons le doux suc (sucre ?) de la gentillesse, de l’amour de l’autre, nous cherchons des héros (les soignants), des ennemis (les politiciens), des traitres (les riches)...
Nous sommes dans une nouvelle ère des bisounours, à bonne distance quand même les uns des autres (pas question de bisous ou d’accolades), une gageure pour les entreprises qui ne doivent pas user et abuser de la pommade réconfortante des bons sentiments, au risque de passer pour indécentes. Si nous sommes tous dans la même galère, la nécessité d’une certaine retenue s’impose pour les entreprises pour rappeler qu’elles participent à la bonne marche du monde, sans pour autant s’afficher comme des modèles de vertu, des croisés de la bonne conscience. Il faut savoir être là, proches des consommateurs, des clients, sans encombrer leur espace vital.
Ces derniers jours La Poste a fait paraître une annonce à l’accroche gluante de bons sentiments : « Garder le lien avec vous. » Comment cette entreprise du service public (du moins, je le croyais) peut-elle se réclamer de notre bonne relation avec elle, alors que pendant les premières semaines du confinement, elle a fermé 80% de ses bureaux et réduit les tournées des facteurs à 3 jours par semaine (en mettant en péril la distribution de la presse) ? Est-ce que les éboueurs ont stoppé le ramassage des ordures ? Est-ce que l’ensemble de la fonction publique a clos les guichets ? Est-ce que les personnels soignants sont restés chez eux ? Est-ce que les magasins d’alimentation et des métiers de bouche ont gardé le rideau fermé ? Est-ce que les livreurs ont arrêté de livrer ?...
Bonne nouvelle pour les usagers que nous sommes, la digitalisation des échanges épistolaires s’accélérant avec la crise, va précipiter la disparition du métier de facteur.
Image : © La Poste