Jean Paul Gaultier a donc tiré sa révérence lors de la semaine des défilés haute couture. Un arrêt définitif qui témoigne de sa grande lucidité face à un monde de la mode endurci. Dans le giron du groupe espagnol Puig depuis 2011, la maison Jean Paul Gaultier doit sa fortune aux parfums très rentables dont des best-sellers (Classique, Le Mâle) qui réalisent plus de 300 millions d’euros de ventes. A côté, la mode ne pèse pas lourd, moins de 20 millions d’euros de CA. Les dirigeants du groupe Puig avaient alors tiré un trait sur le prêt-à-porter déficitaire en 2014 pour se consacrer à la haute couture, vitrine démonstrative pour renforcer l’image attractive (et les ventes) des parfums.
Jean Paul Gaultier appartient à cette génération de créateurs de la décennie 80 qui, après la révolution du prêt-à-porter des années 60, ont bousculé les vestiaires contemporains, des pionniers du style qui ont apporté un vrai souffle créatif très énergisant, sans pour autant réussir à se transformer en marque de mode planétaire et lucrative. Les marques, qui ont réussi à développer des licences de parfums à succès, sont les seules à encore exister aujourd’hui. C’est tout le paradoxe de ces talents dont l’inventivité stylistique s’est rarement concrétisée en succès commercial.
Depuis longtemps dans le panthéon de la mode, Jean Paul Gaultier a apporté une nouvelle dimension vestimentaire avec des sources d’inspiration subversives où se côtoient l’élégance, le burlesque, le transgenre, les fétichismes, les sous-cultures en tous genres, l’étrange et la fusion des époques dans un joyeux carambolage d’effets de manches réjouissants.
Au-delà du spectaculaire et du foutraque en apparence, sa mode est très construite et très réfléchie. Car Jean Paul Gaultier est un architecte doublé d’un sociologue. Avec l’intuition de l’artiste, il a su appréhender les signaux faibles de son temps pour aider ses contemporains à changer d’allure, à regarder le vêtement, non pas comme l’imposition totalitaire d’un styliste, mais comme le tremplin à l’émancipation, notamment sexuelle, donnant la capacité à chacun et à chacune d’être ce qu’il/elle est, démontrant que la beauté n’est pas seulement physique, elle est aussi et surtout un comportement à s’affirmer par des coups de menton narquois qui sont autant un geste d’élégance qu’un geste provocateur lancé par bravade à la face d’un conservatisme asphyxiant.
Ce sont les hommes qui ont le plus profité de son talent, il a bousculé la masculinité convenue, il a mixé les chromosomes homme/femme, il a détourner les icônes caricaturales de la culture gay pour en faire des nouveaux totems de la virilité où se confondent hétéros et homos. Grâce à lui, les hommes sont plus beaux, plus sex', plus désirables, plus féminins. Les défilés de mode masculine, présentés avant la haute couture parisienne, témoignaient encore de son influence immense sur la silhouette masculine avec des citations esthétiques de son imaginaire chez de nombreux créateurs.
Dans un monde qui dialogue de moins en moins, se raidit et se perd dans les soliloques des extrémistes et des radicalistes, le dernier grand show de Jean Paul Gaultier a été une grande bouffée d’optimisme et d’espoir. Des vrais mannequins, des vrais gens, des vrais artistes portaient ses vêtements dans un grand éclat de rire, affichant ce que le créateur a toujours défendu : la liberté, la singularité et la diversité. Standing ovation monsieur…
Photo : L’ultime défilé haute couture printemps-été 2020 de Jean Paul Gaultier © PixelFormula