Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Face au dos

Le mal de dos, que les médecins appellent lombalgie commune, se caractérise par une intense douleur dans le bas du dos, provocant parfois un blocage ou des difficultés à bouger. Qualifié de « mal du siècle » qui toucherait 9 personnes sur 10, le dos serait-il honni ? 

 

Parce que ce dos exécrable se rappelle à nous dans la douleur et se dérobe à notre vue, le Palais Galliera a déployé « Back Side/Dos à la mode », hors les murs dans le cadre du musée Bourdelle ; jusqu’au 17 novembre, cette exposition entend démontrer combien le dos est un espace de mystère et de calme à réexplorer. Une confrontation passionnante entre les œuvres du sculpteur Antoine Bourdelle et une sélection d’une centaine de silhouettes à travers l’histoire de la mode. Un point de vue original dans notre société du selfie obsessionnel où beaucoup se montrent de face, multipliant des images vaniteuses, une mise en scène de soi souvent retouchées, souvent artificielles. Une démonstration égotiste amplifiée par les réseaux sociaux qui, à la fois exposent une grande diversité et dans le même temps, normalisent l’esthétique du temps avec des images plates (et d’une grande platitude) où les regards se perdent dans l’impudeur de la multitude. Et c’est aussi vrai pour les photos de mode qui roulent en vagues géantes sous nos yeux, saison après saison, jour après jour. 

 

Alexandre Samson, le commissaire de l’exposition, constate que lors de la fashion week parisienne du printemps-été 2019, pas moins de 80 défilés ont présenté 3 607 silhouettes. Un chiffre en soi déjà considérable, mais ces milliers de silhouettes shootées par des centaines de photographes, sont postées dans la foulée, cadrées de face, sur les plateformes digitales de mode, comme des séries glaçantes de portraits judiciaires anthropométriques. 

 

« Considérées comme de véritables références pour tous les professionnels, ces plateformes publient et archivent en accès libre toutes les silhouettes d’un défilé, quand auparavant, il fallait attendre la publication dans des comptes-rendus dans la presse », constate Alexandre Samson. Analysant les éditions de Vogue Paris de 1920 à nos jours, le commissaire a calculé qu’en 1925, 25% des modèles étaient présentés de dos, contre à peine 3% en 2018 ! Dans cette société de la consommation d’un trop-plein d’images et de productions, où la non sélection, le spectaculaire et l’immédiateté priment sur la beauté tendue qui donne à voir dans la distinction et le suspens, dans la complexité et le mystère. Le dos est alors escamoté, il disparaît derrière une imagerie qui aplanit le style, pour ne pas dire qui l’aplatit et le banalise. 

 

Bien au-delà de sa dimension historique, « Back Side/Dos à la mode » nous incite à réfléchir au sens de la mode qui, aujourd’hui, surproduit des effets de manches engloutis par les réseaux sociaux, au détriment de notre mémoire et de notre intelligence. Dans la minéralité des sculptures puissantes et perpétuelles d’Antoine Bourdelle, la mode vue de dos est une invitation à tempérer le voyeurisme des réseaux sociaux, « le mal du siècle », et à questionner notre capacité à prendre le temps de regarder ce qui ne se voit pas d’emblée.  

 

 

 

Photos : © D.C. 

 

Tag(s) : #Evénement
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :