Pendant la torpeur caniculaire, la maison Sonia Rykiel a rendu son dernier souffle. Faute de repreneur, la griffe détenue par le fonds d'investissement First Brand Heritage a été mise en liquidation judiciaire. En sérieuse difficulté depuis la disparition de la créatrice, elle s’est effondrée, affichant 30 millions d’euros de pertes pour 35 millions de CA. En 2008, elle affichait 100 millions d’euros de CA, 90 millions en 2010, moins encore l’année d’après, poursuivant sa lente dégringolade avant son rachat en 2012 par la société d’investissement hongkongaise. A l’époque Jean-Marc Loubier, fondateur de First Brand Heritage avec la famille hongkongaise Fung, qui possède le chausseur Clergerie et le maroquinier Delvaux, espérait « doubler les ventes d’ici cinq à six ans ». Alors que s’est-il passé ?
Les 200 millions d’euros investis par ses actionnaires depuis 7 ans n’ont pu pallier un manque de management cohérent et de vision, un manque de compréhension d’une marque qui avait une âme attachée à sa créatrice inspirée par le quotidien des femmes.
Pionnière du streetwear féminin avant l’heure, Sonia Rykiel avait inventé un vestiaire libéré des diktats de la mode en inventant ce qu’elle a appelé la « démode », c’est à dire un style informel et « loose » avec des coutures à l’envers, des rayures qui affinent, l’absence d’ourlets et de doublures, le noir du jour, la maille souple et confortable, le jogging chic en velours, un prêt-à-porter haut de gamme accessible… Sans oublier les mots et les strass dont elle saupoudrait ses silhouettes pour rappeler le pétillant humour de son esprit germanopratin.
Les repreneurs de la maison, d’une inculture affligeante en terme de mode, ont ignoré ce terreau fertile en cherchant à toute fin à la transformer en marque de luxe tout terrain affadie par un marketing sans souffle. Les dernières collections inspirées du mythe de mai 68 étaient, à cet égard, une pathétique parodie : elles ont fait fuir la clientèle vieillissante sans attirer les plus jeunes pour qui le mythe de Sonia Rykiel appartient à la préhistoire…
Pour rebondir, la maison avait prioritairement besoin d’une direction artistique forte, inventive et visionnaire, non pas pour ressasser un passé révolu, mais pour dessiner le vestiaire casual contemporain des femmes actuelles, à partir de la grammaire streetwear que la créatrice avait initiée. Comme une Chanel, Sonia Rykiel incarne une intemporalité bienveillante où les standards traversent les époques, adaptés évidemment aux aléas et aux nécessités stylistiques du XXIe siècle. Sonia Rykiel, marque cool s’il en est, avait tout pour être à la mode, l’incompétence de ses dirigeants a précipité sa disparition…
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Images : D.R.