Dans un univers marchand envahit de produits et de marques qui ne manquent pas d’une certaine uniformité et de fatigue, il est plus difficile de titiller le désir de clients désœuvrés. L’étonnement est un ressort qui peut être activé en poussant les marques à sortir de leur pré carré et à marcher sur d’autres platebandes. Pour réussir cette « sortie de route », la collab’ s’impose toujours comme un exercice appréciable.
Cette pratique de co-création et de cobranding n’est évidemment pas nouvelle, mais sa multiplication interroge. Si certaines collabs sont opportunistes et/ou paresseuses, d’autres conduisent les entreprises qui s’y engagent à repenser leur statut de marque intègre et solitaire pour faire naître des produits à plusieurs mains et susciter de la surprise, de l’intérêt et bien sûr de la cohérence pour une œuvre collaborative qui doit faire sens. Les modalités de partage, d’objectif et de ressources entre les deux accouplés doivent être équilibrées pour que la collab’ n’apparaisse pas comme un tour de passe-passe marketing, une pollution marchande. Dans le genre polluant, je pense à la collection capsule de Roland Garros et Chantal Thomass en 2014, à celle de feue Colette et McDonald’s en 2015 ou encore en 2016, de Tara Jarmon et La Pâtisserie des Rêves qui se sont fendues d’un Paris-Brest à la framboise dont on cherche l’intérêt pour les clients... Il y en a d’autres, je pose un voile pudique.
Evidemment, la plupart de ces collabs ont peu voire pas d’objectif commercial réel, elles visent le buzz avec le relais obligé des béni-oui-oui de la presse lifestyle et des influenceurs et ceuses, courtisans experts de l‘hypocrisie lorsqu’ils sont aux pieds de la main qui les nourrit. On le sait, l’information est devenue en partie de la propagande communicationnelle où le fait objectif s’efface derrière les courbettes et l’empilement des likes recherchés par tous les moyens.
Une collab’ attractive est un choix artistique, une stratégie marketing affutée, une rencontre entre deux univers de marques pour toucher un public nouveau, conforter une base de clients, élargir la portée des entreprises appairées et surprendre par un effet waouh ! En 1956, le constructeur Renault présente la Dauphine, carrossée par l’Italien Ghia, une berline déclinée en version coupé, cabriolet, sport et même luxe sous l’appellation Ondine. Pour affirmer ce positionnement haut de gamme, Renault monte une collab’ inédite, la première du genre, avec le joaillier Van Cleef & Arpels qui signe et soigne la planche de bord. La place Vendôme a dû frémir…
Le monde automobile est friand de cobrandings pour légitimer un positionnement ou pour relancer de l’intérêt sur des véhicules au long cours commercial. Il y a quelque jours, Alpine, propriété du groupe Renault (décidément), a signé une collab’ avec Atelier Tuffery, le plus ancien fabricant de jeans français. Cette association a donné naissance à un pantalon exclusif en denim brut avec des détails identitaires particuliers (boutons, rivets, surpiqûres, etc.) et une innovation brevetée : une poche gousset réinventée et extractible qui permet de loger son smartphone et de pouvoir s’asseoir dans le siège baquet de sa voiture (une Alpine par exemple) sans risque de le faire tomber ou de l’écraser. Avec un détail, cette poche est dotée d’un fond textile spécial protégeant les hypocondriaques et les craintifs des ondes électromagnétiques.
Si ce pantalon est à l’image du savoir-faire et de la qualité Atelier Tuffery, quelle valeur ajoutée avec Alpine ? A froid, on se dit pas grand chose. Puis en se penchant sur le concept, en soulevant la toile, on y perçoit une attention sur l’image, une idée qui fait mouche et de la surprise (à l’exacte mesure de Renault et Van Cleef & Arpels), et aussi un story telling séduisant et facilement audible pour le lambda assailli de collabs.
Alpine est une marque née à Dieppe en 1955, elle est en plein renouveau depuis 2017, date de la reprise de la production de l’A110, une bombinette craquante, dont les diverses versions ont fait le bonheur de pilotes sur de nombreux circuits pendant quelques décennies. Atelier Tuffery est une entreprise artisanale née à Florac en 1892, en plein renouveau depuis sa reprise par Julien Tuffery qui a décidé de valoriser et de développer un savoir-faire d’exception que sa famille cultive depuis quatre générations. Ces deux entreprises, au territoire éloigné, affichent pourtant une même volonté de qualité et de style à la française, avec un positionnement prémium, que je qualifierai de néo luxe, une fabrication limitée (Alpine produit moins de 5 000 véhicules par an aujourd’hui et Atelier Tuffery 50 000 jeans), et, plus important encore, une culture de marque élégante et cool, incarnée par les hommes qui les animent. Au-delà de la capsule produit, Atelier Tuffery x Alpine confirme qu’une collab’ congruente est avant tout une rencontre passionnée entre deux marques et entre deux teams, un mariage de sensibilités qui humanisent et donnent un peu de sens à la vacuité de notre société de consommation. Elle est aussi une bonne façon de ne pas figer des marques historiques dans le glacis patrimonial qui ennuie, en donnant un coup de projecteur qui ravive…
Images : © Alpine/Atelier Tuffery
A lire : Le Triomphe du luxe cool (Maxima Editions), disponible dans toutes les librairies et sur AMAZON, DECITRE, FNAC, MAXIMA EDITIONS