La France été le terreau de la grande cuisine, de la haute gastronomie, en référence à la haute couture aux entrechats sophistiqués et hors normes. C’est l’embourgeoisement de la société au 19èmesiècle qui a permis son éclosion avec la naissance du « grand restaurant » et son décor théâtral, son service ampoulé, ses plats riches, une emphase héritière d’Escoffier. Rappelez-vous Louis de Funès qui incarnait le chef Septime dans Le Grand Restaurant, le film de Jacques Besnard sorti en 1966. C’est le restaurant le Pavillon Ledoyen sur le bas des Champs Elysées qui a servi de modèle, un archétype de cette gastronomie bourgeoise.
Dans les années 70, la « nouvelle cuisine » popularisée par les critiques gastronomiques Gault et Millau va changer la donne avec l’arrivée des mets allégés, la valorisation des aliments nus et crus, une rupture culinaire où le gras s’efface devant la diététique et un allègement des conventions dans la manière de dresser les plats et la table. Cette nouvelle cuisine de l’épure, héritière de mai 68, est dans la droite ligne de la nouvelle vague au cinéma, du nouveau roman… : on casse les codes, on décontracte, on simplifie, on libère.
A partir de ce mouvement, des chefs (Michel Guérard, Jacques Manière, Claude Peyrot, les frères Minchelli, Alain Senderens, Alain Chapel, Roger Vergé…) s’émancipent et testent des nouvelles approches plus en adéquation avec des sensibilités des individus qui cherchent à sortir des carcans hiérarchiques et sociaux. C’est un marketing intuitif qui s’impose alors, avec l’émergence des tendances sociétales et une déclinaison de cuisines ouvertes sur le monde. La « fusion food » dans les années 80 mélange les goûts, puis la « slow food » dans la décennie suivante qui revendique une approche moins mondialisante que sa devancière, suivra la « cuisine moléculaire » dans les années 2000 qui associe casseroles et boîtes de pétri, et enfin jusqu’à nos jours, la « finger food » ou l’art de manger avec les doigts, dips, tapas, sushis, snacks et autres hamburgers. Les grands restaurants et notamment les restaurants de palaces réadaptent en version luxe, les plats de grande consommation et même ceux de la malbouffe comme le hamburger réhabilité et anobli qui trouve sa place sans complexe sur leur carte pour séduire les palais des gastronomes en jogging et sneakers de luxe.
Aujourd’hui, les grands chefs sortent de leurs cuisines pour s’adonner à la tendance du moment : la « street food », en référence directe à la mode streetwear qui domine. Il ne s’agit pas de sortir les fourneaux sur le trottoir, mais d’investir de nouveaux lieux de restauration, de proposer des expériences gustatives et sensorielles différentes, accessibles, cool, hors du ghetto du luxe traditionnel, plus enclins à la diversité et à la mixité des genres. A l’image des sortes de halles gourmandes qui émergent ici et là où les chefs et les artisans de bouche font table ouverte pour séduire les épicuriens du 21èmesiècle : on s’attable sans façon à des comptoirs, on mange sur le pouce, on lève le coude, on partage une approche débridée de la cuisine de chefs qui naviguent entre gastronomie d’élite et gastronomie de masse.
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