Les grands groupes de luxe — Kering, LVMH, Hermès, Richemont… —, publient des résultats en hausse continuelle, et parfois même caracolante dans le cas de Kering boosté par Gucci, ce qui ne laisse pas d’interroger la logique économique qui voudrait que « les arbres ne montent pas jusqu’au ciel ».
Les industries du luxe attirent tant et plus des clients dans le monde entier, séduits par des marques/maisons qui parlent à l’âme et aux sens (à la vanité aussi). Mais dans un environnement de surproduction et de surconsommation qui épuise notre humeur de consommateurs contrariés et engagés vers du moins plutôt que du toujours plus, peut-on raisonnablement poursuivre cette course effrénée à la croissance débridée et aux marges indécentes ?
Ainsi en est-il de Ferrari qui a réalisé en 2013, 2,3 milliards d’euros de CA et une marge opérationnelle de 27% ; l’année dernière, l’entreprise affichait 3,4 milliards d’euros de CA avec une marge opérationnelle de 33% ; en 2020, elle devrait tutoyer les 5 milliards d’euros de ventes avec une marge de 38%, selon les perspectives de Louis Camilleri, le nouveau boss du « Cavallino rampante », le « Cheval cabré », en français dans le texte. Ce qui suppose qu’elle va franchir le cap des 10.000 automobiles produites. Depuis 2007, où le nombre de voitures assemblées à Manarallo a dépassé les 6.000 exemplaires, Ferrari augmente sa production chaque année.
Piano, piano évidemment, ce n’est pas l’explosion, et encore moins la démocratisation/banalisation, Ferrari demeure une des rares marques appartenant à l’industrie du luxe automobile où l’exclusivité n’est pas une formule marketing. Pour autant, coté à la bourse New York depuis 2015, la marque doit rendre des comptes étincelants pour satisfaire l’appétit des investisseurs pour des entreprises qui débitent de la marge en belles tranches appétissantes. Qu’ils soient rassurés, Enrico Galleria, directeur commercial de Ferrari déclarait récemment dans Les Echos qu’« il y a 18 millions de super-riches dans le monde, et notre pénétration n'est que de 0,05 % ». Ce qui laisse supposer que le constructeur n’entend pas les décevoir.
Eu égard à une histoire maîtrisée, une offre produits contenue et à une rigueur artisanale, Ferrari ne va pas perdre son âme, loin s’en faut, on peut néanmoins s’interroger sur la croissance continue de l’ensemble des marques de luxe qui portent en elles, historiquement, cette exigence de rareté. Ou du moins le devraient-elles. Et ce n’est tant l’écologie punitive ou le développement durable culpabilisateur qu’il faut mettre en point de mire (sans le mettre de côté bien sûr) pour retenir la fougue industrieuse, que de renouer avec une philosophie d’un luxe rare qui ne doit pas être forcément accessible à tout le monde, même à ceux qui ont de l’argent.
Cette notion d’exclusivité n’est absolument pas démocratique, le luxe n’est absolument pas égalitaire et doit l’assumer. Ce qui n’empêche, qu’une entreprise du luxe doit élargir sa base de clients, sinon elle s’étiole, tout en maîtrisant sa croissance qui ne devrait pas être un argument capitalistique pour abreuver les investisseurs, mais un mode de pensée et d’action pour suggérer aux clients qu’ils sont élus, choisis comme on choisi ses amis.
A l’ère du marketing relationnel lancinant et de la data intrusive, utilisés comme une panacée, c’est peut-être le moment d’appuyer un peu sur le frein pour ralentir et prendre le temps de regarder les paysages qui changent. Le temps, la liberté, les expériences… sont bien souvent des envies « de luxe » plus convoitées aujourd’hui et davantage demain. Ce qui n’interdit pas d’apprécier la beauté d’un produit rare et cher… Tout est une question d’équilibre.
A paraître très bientôt mon dernier opus, « Le triomphe du luxe cool » publié chez Maxima Editions, qui explicite les évolutions des marques du luxe.