La loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), un vaste machin dont la technostructure a le secret et dont on veut croire qu’elle va « libérer » l’économie française du poids d’un Etat prédateur. Faut-il rappeler que le problème de cette France archaïque irréformable n’est pas le fait des entreprises, mais d’un Etat Providence obèse qui étouffe les initiatives et laisse croire au bon peuple que l’argent tombe du ciel…
Dans les Echos ce matin, un papier met en exergue l’article 61 de cette loi Pacte qui ouvre la voie à la création « d’entreprises à mission » ; une terminologie qui souligne que les dites entreprises s’engagent à promouvoir un intérêt collectif. Cette nouvelle typologie d’entreprises a été singée sur le concept de benefit corporationsen usage aux Etats-Unis depuis 2010 : "une entreprise à mission diffère de l’entreprise traditionnelle en ce qui concerne ses objectifs, sa responsabilité et sa transparence ; son but étant de créer un intérêt public d'ordre général qui est défini comme un impact positif significatif sur la société, sur l'environnement, sur le social, sur la sauvegarde de l’emploi, sur les implantations locales, etc." Chacun y va de sa mission d’intérêt général en promettant de laver plus blanc que blanc…
Interrogée dans Les Echos, Laurence Méhaignerie, présidente-cofondatrice de Citizen Capital et co-initiatrice de la Communauté des entreprises à mission s’enthousiasme : « Il est temps de voir l’entreprise comme un puissant levier de transformation pour répondre aux défis contemporains ». N’est-ce pas déjà le cas depuis des lustres, où les entreprises évoluent dans des écosystèmes complexes dans lesquels elles se débattent et s’adaptent au mieux pour répondre aux aspirations de la société qui elle-même est en évolution permanente ?
Nous avons en France de nombreuses entreprises plus que centenaires, une longévité qui sous-tend qu’elles ont toujours su répondre « aux défis contemporains »… Quant aux nouvelles, elles sont suffisamment ancrées dans la réalité pour ne pas ignorer les enjeux sociétaux existants et futurs, au risque de disparaître rapidement. Peut-être ne sont-elles pas forcément bien préparées à ces enjeux, mais est-il besoin de se définir une « mission d’intérêt collectif » pour démontrer le sens social de l’entreprise qui doit dans le même temps ne pas négliger de défendre ses intérêts particuliers ?
Je connais et rencontre beaucoup de dirigeants et de chefs d’entreprises qui sont des missionnaires combatifs, ayant bien conscience des évolutions et des révolutions en marche, ils suivent au plus près les mouvements sociétaux parce qu’il y va justement de leurs intérêts et de leur survie. Nous ne sommes pas dans un monde de bisounours, ce n’est pas le badge politiquement correct « d’entreprises à mission » qui va renforcer leurs engagements vers un monde meilleur, ils se battent pour cela au quotidien. Non sans mal et quand ils le peuvent...
On peut se flatter intellectuellement de ce nouveau statut d’entreprise, mais aussi s’interroger sur sa résonnance dangereuse. Car nous nous engageons une nouvelle fois dans une vision binaire du monde de l’entreprise, avec d’un côté, les bonnes entreprises à mission ouvertes à l’intérêt collectif, et les autres, les mauvaises entreprises traditionnelles perverties par des « salauds de capitalistes ». Dans quelques temps, il faut s’attendre à voir fleurir des listings accusateurs sur les réseaux sociaux, espace sans foi ni loi de la délation populiste.
Image : © Yale Center for Business and Environment