Les grincheux qui douteraient encore de l’attractivité de la marque à la pomme devraient se rendre toute séance tenante au 114 avenue des Champs Elysées. Là, dans un immeuble haussmannien historique, prestigieux, élégant, (et ennuyeux disons-le dans un Paris à l’architecture figée), Apple déploie son plus grand vaisseau amiral en France (1.440 m2) et son intelligence marketing basé sur une ascension en prix assumée. Sous l’impulsion d’Angela Ahrendts, ex patronne de Burberry, un recrutement en platine digne d’un transfert au mercato footballistique, la firme de Cupertino s’éloigne de la nasse technologique où se déchirent ses concurrents, pour viser le firmament de l’expérience globale.
Formaté aux codes de la marque, ce grand magasin agencé par l’agence d’architecture Forster + Partners, n’impressionne pas par une mise en scène à l’effet waouh, mais par un équilibre entre grandiloquence des volumes et intimité des espaces, comme dans un palace. La lumière saupoudrée/tamisée dédramatise l’ambiance en y apportant une chaleur rassurante, renforcée par un personnel nombreux et attentif toujours sans obséquiosité ; et comme dans les boutiques de mode cool, le bataillon de ces Genius Apple en T-shirt rouge (ils sont près de 350 dans ce magasin !), formés à l’empathie, ont été habilement castés sur leur look, avec d’un côté les Genius geeks façon The Big Bang Theory, et de l’autre les Genius fashion façon Ugly Betty.
Deux nouveaux marqueurs témoignent de la volonté d’Apple de ne pas singer les rituels ou les manies des marques de luxe, mais de s’inscrire dans une démarche originale où le client est littéralement absorbé par la marque, partie prenante d’une immersion délicieuse et consentie. Ainsi, dans les magasins de destination Apple, désormais baptisés « Town Square », la place du village, il y a une agora avec des arbres où passants, clients, intervenants et Genius se retrouvent pour vivre des expériences en direct. En complément de ces rassemblements populaires, Apple propose des formations gratuites, des séances éducatives pour familiariser qui le souhaite à la création avec et grâce aux produits de la marque. Cette générosité calculée devrait inspirer les grands labels de luxe dont les magasins déserts transpirent souvent l’ennui. Il suffit de se promener avenue Montaigne ou Faubourg Saint Honoré pour s’en persuader…
Avec cette nouvelle ouverture parisienne, Apple renforce sa vision d’une technologie douce et d’un néo luxe en suspension, et prend de la hauteur sur ses concurrents… Pour s’en convaincre, il suffit de descendre un peu plus bas sur le même trottoir, au numéro 100 des Champs Elysées, le magasin Samsung, rival irritant, apparaît soudainement daté et aussi palpitant que le show room d’un fabricant d’aspirateurs.
Dernier détail, pas des moindres, dans l’immeuble dans lequel est installé Apple, a habité Alberto Santos-Dumont, pionnier de l’aviation et créateur avec Louis Cartier d’une célèbre montre bracelet pour lire l’heure en plein vol. Une plaque commémorative nous rappelle qu’il a même a atterri devant le 114 dans un dirigeable en 1903. Quel symbole pour incarner le luxe en apesanteur d’un Apple… Santos-Dumont a été un aventurier, un explorateur, un homme de conviction dont le goût de l’aventure a toujours été lié à des prouesses techniques. Comme un certain Steve Jobs… Vous avez dit hasard ?
Pour info, début 2019, je publie un livre sur les nouveaux enjeux du luxe, je vous en dirais un peu plus bientôt…
Photos : © DC