Tata Motors, filiale du groupe indien Tata ($105 milliards de CA) est reconnu dans le monde automobile pour avoir racheté en 2008 les marques Jaguar et Land Rover au constructeur américain Ford Motor Company, deux marques en déshérence redevenues glamour et attractives, sans perdre leur âme british ni leur positionnement haut de gamme. La société Tata Motors s’est aussi distinguée, en janvier 2008 lors du 9e salon indien de New Delhi Expo Auto, en dévoilant la Tata Nano, « la voiture la moins chère du monde » proposée à 1.500 euros (100.000 roupies). Dix ans plus tard, la production est arrêtée, sur le premier semestre 2018, la Nano s’est vendue à… 3 exemplaires !
Des constructeurs cherchent à imaginer le low cost automobile : Datsun a lancé sa Go, Hyndai sa Eon, Renault sa Kwid, Dacia sa Logan… Il existe un marché low cost dans ce secteur comme dans d’autres, de l’aviation à l’habillement en passant par l’alimentaire ou le mobilier. Alors pourquoi la Nano avec son prix canon est devenue un nanard ?
Ce petit véhicule « so cheap » a rencontré quelques problèmes de sécurité et de fiabilité qui a refroidi des acheteurs potentiels, mais c’est surtout par son axe marketing qu’elle a péché. Premièrement, « cheap » ne doit pas vouloir dire qualité sacrifiée sur l’autel des coûts contraints ; la Nano ne valait pas une roupie de sansonnet avec son moteur de tondeuse à gazon, ne possédant ni chauffage, ni ventilation, ni autoradio, ni direction assistée, ni le moindre air bag…, plus spartiate tu meurs. Secondement, le positionnement de low cost assumé (ce qui est audible aujourd’hui chez les consommateurs) était affublé du qualificatif de « voiture du peuple », comme dans les années 50 où la démocratisation automobile se cherchait une voie. Or, « voiture du peuple » égale » voiture du pauvre ». Un client potentiel, même indien et très peu argenté, ne veut pas conduire une bagnole d’indigent. Le consommateur a un ego et s’il n’est pas obsédé par le « statutaire », la mythologie des marques et des produits dont il n’a pas les moyens, il a une dignité.
Pour reprendre une formule du philosophe Paul Ricœur, la dignité renvoie à l’idée que « quelque chose est dû à l’être humain du fait qu’il est humain ». Le low cost n’est pas seulement une étiquette sur un produit, mais une culture d’entreprise qui considère qu’un client est un individu qui mérite un respect inconditionné, il ne se résume pas à un pauvre ou un pingre, mais à une personne vertueuse, en quête de valeur d’usage qui n’obère pas la valeur d’image.
Renault, qui a racheté le constructeur roumain Dacia en 1999, a très bien perçu cette sensibilité en développant des automobiles « populaires et bon marché » destinées aux marchés émergents. Sans surenchère d’options, sans fioritures statutaires, mais avec un rapport qualité/design/prix juste, les Dacia ont conquis les dignes clients en quête d’usage valorisant. La première Logan, lancé en 2004, proposée à 8.000 euros a créé une rupture dans l’univers automobile, à tel point que les conducteurs des pays riches l’ont réclamée. Depuis, Dacia, leader du low cost automobile, a vendu plus de 10 millions de véhicules dans le monde, ses clients créent des fans clubs et le nouveau Duster commercialisé cette année affiche une marge opérationnelle de 15%... La dignité n’a pas de prix, elle est un investissement à intégrer aux coûts…