Qu’est-ce qui a piqué Piquadro de vouloir racheter Lancel ? Fondé en 1987, le maroquinier italien est connu pour ses bagages connectés et ses sacs design en cuir de qualité qui connaissent un vrai succès : il frôle les 100 millions d’euros de chiffre d’affaires et affiche une croissance discontinue chaque année. Coté à la bourse de Milan et à la tête d’un confortable cash flow, il avait fait l’acquisition de son compatriote toscan The Bridge en 2016, démontrant sa volonté d’expansion, Lancel est donc une prise logique. Dans le giron du groupe Richemont depuis 1997, le maroquinier français, qui va fêter ses 150 ans, a connu de multiples secousses lors de la dernière décennie avec une succession de managers qui n’ont jamais su vraiment intégrer son histoire et encore moins les enjeux de la mode dominée pourtant par les accessoires et la folie des it-bags.
A l’image d’un Longchamp, Lancel avait les ingrédients pour devenir un label de référence dans la maroquinerie moyen haut de gamme voire luxe, mais sa stratégie de développement produits appuyée par un marketing incohérent et une communication décousue pour ne pas dire risible ont eu raison de sa croissance. A ce propos, la campagne « French légèreté » (sic !) avec Laure Manaudou et Alice Taglioni pataugeant nuitamment dans une fontaine de la place de la Concorde, est un monument du ridicule publicitaire. Résultat de ces errements, de 170 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2010, la maison est tombée à moins de 80 millions d’euros, une parc de boutiques réduit à 78 points de vente (contre 224 dix ans plus tôt), un rétrécissement sur le seul marché français et une notoriété en berne qui laisse dans l’indifférence.
Le groupe suisse Richemont, numéro 3 mondial du luxe, derrière LVMH et Kering, qui a acquis au fil de son histoire des entreprises hors de son périmètre de savoir-faire, comme Chloé, Alfred Dunhil, ou Azzedine Alaïa, commence un recentrage sans doute nécessaire pour satisfaire ses actionnaires. L’année dernière, il s’est séparé de la griffe de mode haut de gamme chinoise Shanghai Tang qu’il n’avait pas réussi à faire grandir hors d’Asie, Lancel est donc la suivante. En attendant d’autres cessions, pour mieux se concentrer sur son cœur de compétences, à savoir la joaillerie et de l’horlogerie ?
La mode est un secteur compliqué et épuisant qui nécessite un management sportif pour suivre des rythmes chaotiques et s’intégrer dans des tendances girouettes en flux tendu. L’univers précieux de la joaillerie et de l’horlogerie est suspendu dans une temporalité de longue traine avec des clients dont l’addiction au luxe est moins hystérique que la mode. La spécialisation pointue du groupe Richemont est le meilleur atout de sa pérennité.