« Les hommes viennent de mars et les femmes viennent de Vénus », cette formule de l’essayiste américain John Gary et de son livre éponyme paru en 1992 aurait pu inspirer le « gender marketing », le marketing de genre. Mais à l’aune d’un transgenre qui revient en force, du brouillage des sexes et d’une mixité sociale au forceps, la sexualisation des marques a-t-il un sens ? Dans les faits, la grande majorité des marques est mixte, s’adressant indifféremment aux hommes et aux femmes. La question de la parité étant largement posée dans nos sociétés démocratiques, des marques s’essaient pourtant à un égalitarisme de façade en ciblant les hommes et/ou les femmes avec des produits spécifiques. Après les rasoirs « Twin Lady », Bic a lancé le stylo « for her, au corps fin adapté aux mains des femmes » (sic !) et Stabilo, le « Boss au féminin » ; de son côté, Sanogyl propose des brosses à dents typiques, l’une pour homme et l’autre pour femme ; hygiène dentaire encore, Signal a créé le dentifrice White Now Men et Kleenex, les mouchoirs « Mansize » pour les hommes encore ; tout aussi opportun, Apéricubes des fromageries Bel a segmenté son offre avec un assortiment « Soirées filles » aux goûts féminins (chèvre, légumes, saint jacques poêlées), et un assortiment viril baptisé « On joue ! » au goût de « junkfood »... Pas de commentaires !
Le secteur de l’optique semble peu concerné par le « gender marketing », la majorité des marques jouant la carte de la mixité. Néanmoins, certaines choisissent leur public en ciblant les hommes ou les femmes. Le groupe italien de lunetterie Aera98 déploie un portefeuille de marques sexuées : Coco Song ou La Matta s’adressent aux femmes, quand Robert Rüdger vise les hommes. Idem pour le jurassien Morel qui aligne des marques « genrées » avec leur univers propre : Öga pour les hommes et Koali pour les femmes. Une telle stratégie permet de mieux affiner le positionnement des marques, avec un message plus ciblé et une narration développée plus en profondeur vers une cible clairement identifiée.
Néanmoins, il s’agit de catégoriser sans stigmatiser ni tomber dans la caricature en répondant aux sensibilités des uns et des autres. En terme de lunettes, les femmes apprécient plutôt une esthétique qui navigue entre raffinement et sophistication, à l’image des collections de Caroline Abram, Line Art de Charmant, Marimekko ou Emmanuelle Khanh, bien que cette dernière propose quelques modèles mixtes pour satisfaire des fashionistos adeptes de la marque. Les hommes privilégient la sobriété vigoureuse et des lignes minimalistes : les marques de mode masculines comme Hackett, John Varvatos ou Baldessarini sont en première ligne, ainsi que des marques 100% dédiés aux hommes. En janvier 2015, Aoyama Optical invitait la presse optique professionnelle sur la base aérienne 110 de Creil pour lancer Black Shadow, une nouvelle marque inspiré de l’aviation. A partir d’aluminium, matériau léger et résistant utilisé pour construire des avions, les montures affichent un design classique, viril, attendu. Black Shadow emprunte en effet tous les clichés et les symboles de l’aviation militaire (chaque modèle porte même le nom d’un avion mythique) qui plaisent aux hommes férus de mécanique.
Les féministes objecteront que leurs contemporaines peuvent aussi s’intéresser aux avions de guerre, n’empêche, dans l’inconscient collectif, l’aviation est une passion virile, comme… les jeux de guerre ! La segmentation est une des règles de base du marketing, la sexualisation des marques et des offres en fait partie ; et quand l’égalité politiquement correcte passe par trop de ressemblance entre les genres, le « gender marketing » rappelle que les hommes ne sont pas des femmes comme les autres, et vice versa.
Article paru dans MO Fashion Eyewear n°53
Images : Brosses à dents pour lui et pour elle SANOGYL © Bolton Solitaire — Lunettes D.R.