Avec 55 expositions réparties dans toute la ville, la nouvelle édition de la Biennale Internationale Design Saint-Etienne (encore visible jusqu’au 12 avril, il faut faire vite) a invité les visiteurs à réfléchir aux « sens de la beauté ». Des sens pluriels pour une interrogation majeure : qu’est-ce que le beau dans notre monde marchand esthétisant à l’extrême et comment cette beauté peut-elle changer la laideur sociale qui nous entoure ? Les designers, les artistes, les créateurs convoqués n’apportent pas de réponses définitives et encore moins univoques, bien au contraire équivoques. Depuis la nuit des temps, la beauté est une énigme que la vanité humaine cherche à maîtriser, une beauté codifiée par un marketing de l’offre exaltée. Comment pouvons-nous encore soutenir cette quête incessante de nouveautés packagées qui nous assaille alors que la planète fuit par tous les pores ? Si la beauté d’un objet est absente, est-il laid pour autant ? La beauté est-elle un progrès social ? La beauté est-elle féconde ?... Je vous ai prévenu, beaucoup d’interrogations et une seule réponse dans l’immédiat : la beauté est plus que jamais obsédante.
En 2.000 ans, les utopies et les dystopies n’ont mené à rien ou à pas grand chose, alors notre humanité cherche à se réaliser dans une religiosité extrémiste ou dans le refuge d’un idéal publicitaire.
La beauté est en effet sacralisée à un point tel que des parents monoparentaux ou stériles pratiquent l’eugénisme en sélectionnant des géniteurs calqués sur un même modèle peopolisé : caucasien, QI de plus de 130, taille de plus de 1,80 m pour un garçon, plus de 1,60 m pour une femme, visage aux traits réguliers, patrimoine génétique sans antécédents, etc. En attendant les clones d’Apollon en vente sur internet, la fabrication standardisée d’un enfant « parfait » grâce au séquençage de l’ADN.
Pourtant, la beauté est imperfection et diversifiée, la beauté est sensible et minuscule, la beauté est aspérités, cachée dans le détail, si on prend le temps de s’arrêter un instant sur la poésie des petits riens, loin des canons artificiels de notre civilisation de l’image polie et faussée par des illusions. De cette immense réflexion et en illustration, je retiendrais le travail de Sandra Coelho, designer originaire de Saint-Etienne qui a proposé un nouvel étalon lors de la biennale. « Sculpture discrète et ergonomique, le Petipeu étalon, impose à qui le prend en main d'effectuer le geste qui accompagne d'ordinaire la notion d'un petit peu, explique-t-elle. La forme de cet objet sculptural a été figée à partir d'une étude statistique portant sur un échantillon de 1.000 personnes. L'écart moyen calculé a été calibré à 2.64 centimètres. La tension entre la notion de mesure et la sensibilité du geste propose une valeur vouée à être recalculée annuellement. Cet outil de mesure pourra se présenter comme alternative poétique au système métrique. » Et au système préfabriqué de la beauté uniformisée qui ne voit dans sa perfection supposée que sa grandeur vaniteuse.