Le nuancier Pantone, qui est à la couleur ce que le système décimal est à la mesure unitaire mondiale, s’avère un outil indispensable pour qui manipule les battoirs à teintes, même s’il en existe d’autres, systèmes s’entend. Tous les ans, cette société américaine fondée en 1866 (un peu d’histoire ne remplace pas la fève, mais ça fait la rue Michel pendant le tirage de la galette des rois) nous gratifie d’une « couleur de l’année ». 2015 n’échappe évidemment pas au rituel qui assure une formidable publicité à Pantone, donc, précipitons-nous, amis color victims, la tonalité 2015 se nomme Marsala sous le matricule 18-1438.
Elle serait inspirée de la ville sicilienne éponyme, sise en la province de Trapani (un peu de géographie ne remplace pas la fève, etc.), évoquant les terres volcaniques de l’ile italienne et la liqueur mâture du même nom, un vin fortifié par le sucre dont raffole les dames anglaises d’un âge incertain qui aiment à tremper leurs biscuits secs dans le liquoreux pour digérer leurs plats bouillis, car on dit que c’est un anglais facétieux qui popularisa cette boisson (un peu de science viticole…)
Revenons à nos palettes, ce Marsala matricule 18-1438 est une sorte de couleur sans fond ni forme, pas vraiment un rose, pas vraiment un marron, à la fois chaud et froid, à la fois passe-partout et importable, à la fois lumineux et mélancolique, à la fois corsé et écœurant : à coup sûr un bâtard ! Une teinte qui pourrait être gourmande si elle n’était pas un tantinet rance, pour ne pas dire boucanée comme une fille de joie épuisée par son négoce.
Je n’en suis vraiment pas fan de cette « couleur de l’année », qui malgré son apparence trompeuse de teinte raffinée, fleure trop la fadeur émolliente du Vieux Monde. Bref, ce Marsala matricule 18-1438 ne va donner ni modernité ni coup de fouet à une année qui attend autre chose pour dynamiser son futur qu’une couleur pour vieilles anglaises qui triturent la glaise des académies en suçotant leur Earl Grey… Color save the year ! Change color !